Perdre du poids : pourquoi est-il si difficile de maigrir ?
- A. Victoria par Andrés Fernández
- La conversation*
Vous avez certainement, cher lecteur, souffert à un moment donné (si vous ne le faites pas en ce moment) de la torture de devoir vous débarrasser de vos kilos superflus. C’est une décision récurrente que la plupart d’entre nous, mortels, prennent chaque année.
Elle coïncide généralement avec la fin du printemps, lorsque nous vérifions devant le miroir à quel point nous avons l’air franchement moche dans ce maillot de bain qui, l’été dernier encore, mettait si gracieusement en valeur notre silhouette.
Partant du principe qu’il y a toujours la possibilité de mettre le monde sens dessus dessous et de louer l’homme qui a inventé l’ajout d’un « X » aux tailles, vous décidez d’être responsable, discipliné, sain, rigoureux avec vous-même et… de vous lancer dans l’épreuve.
Parce que, arrêtons de se leurrer, perdre du poids est une épreuve.
Surtout lorsque cela fait de nombreuses années que votre métabolisme juvénile vous a quitté.
Mais pourquoi est-il si facile et agréable de prendre du poids et si douloureux et pénible d’en perdre ?
Eh bien, la réponse est simple.
Le tissu adipeux (celui qui se dilate et grossit impitoyablement en formant les détestables poignées d’amour) est une merveilleuse invention de l’évolution que Gollum, s’il n’était pas dans les os, aurait étéconsidéré, sans hésiter, comme non précieux.
D’où viennent les » anneaux » ?
Le dénominateur commun de toutes les formes de vie est l’instinct de survie. Cela peut se résumer, pour faire court, aux instincts de reproduction (pour la survie de l’espèce), de maintien des constantes vitales (homéostasie) et d’alimentation (pour la survie de l’individu).
En principe, la nourriture nous apporte deux choses :
- Matière première pour la croissance, la réparation des tissus et la synthèse des biomolécules nécessaires à l’accomplissement des fonctions vitales.
- Une énergie chimique pour faire fonctionner efficacement la machine biologique qu’est notre corps. Cela comprend tout ce qui est à la base du métabolisme : le travail interne chimique, osmotique, électrique et mécanique. A quoi s’ajoute le travail extérieur de locomotion et de communication et, comme nous sommes des animaux homéothermes, la production de calories nécessaires au maintien d’une température constante qui ne dépend pas de l’environnement extérieur. Toute cette énergie est essentiellement générée par l’oxydation des glucides, des lipides (graisses) et des protéines et l’obtention d’adénosine triphosphate (ATP), la monnaie énergétique biologique par excellence.
Lorsque la balance énergétique est déséquilibrée (c’est-à-dire lorsque l’énergie requise pour tout ce qui précède est dépassée par les calories bloquées dans l’apport alimentaire excessif), nous stockons l’énergie excédentaire.
Et voici le nœud du problème.
Le stockage de l’ATP en tant que tel est physiologiquement irréalisable. Nous devons recourir à l’accumulation d’énergie sous forme de potentiel redox des biomolécules qui nous permet, à un moment donné, d’en tirer de l’ATP en les oxydant (c’est-à-dire en les brûlant).
En principe, parmi les trois candidats dont nous disposons (glucides, lipides et protéines), la forme la plus efficace de stockage de l’énergie est la graisse, puisque son oxydation génère 9,56 Kcal/g, soit presque deux fois plus qu’un gramme de glucides ou de protéines.
A cela s’ajoute le fait que les protéines contiennent de l’azote, l’élément le plus limitant pour la croissance et la reproduction, ce serait donc un gaspillage impardonnable de l’utiliser comme réserve d’énergie commune.
D’autre part, les hydrates de carbone abondants pourraient être utilisés comme substrat de stockage. En effet, le glycogène (un polysaccharide similaire à l’amidon) est stocké dans le foie et les fibres musculaires. Mais, hélas, il est stocké sous une forme hydratée (4-5 g d’eau/g de glucides), ce qui génère deux charges : le volume et le poids. La graisse, en revanche, est stockée sous forme anhydre (sans eau) et occupe un volume beaucoup plus petit.
Par conséquent, la graisse (familièrement chicha, molla ou lard) est le moyen idéal de stocker les excédents : elle prend peu de place et produit beaucoup d’énergie.
Nous avons trouvé la pierre philosophale du garde-manger biologique.
Croyez-le ou non, cette découverte biologique sensationnelle n’est pas nouvelle. Au contraire, c’est un mécanisme très conservateur dans la phylogénie qui est déjà présent dans les organismes unicellulaires. Mais alors que les bactéries et les protozoaires stockent les graisses dans des organelles intracellulaires appelés corps lipidiques, les animaux multicellulaires ont développé des cellules spécialisées pour les accueillir.
Cependant, le développement du tissu adipeux, spécialisé pour contenir la graisse (sous forme de triglycérides) dans des cellules différenciées (adipocytes), n’apparaît que chez les vertébrés (et pas chez tous : les requins, par exemple, n’en ont pas).
Le tissu adipeux : quelle belle invention !
Le tissu adipeux des vertébrés est une nouveauté évolutive qui offre des possibilités très intéressantes :
- il fonctionne comme un garde-manger spécialisé où les réserves d’énergie sont stockées de manière ordonnée à l’intérieur des adipocytes. En cas de besoin, les lipases libèrent les acides gras des triglycérides, qui entrent dans la bêta-oxydation générant l’ATP nécessaire.
- Ce garde-manger est extensible, c’est-à-dire que son volume peut croître parallèlement à l’apport énergétique et, ainsi, profiter des vaches grasses d’une disponibilité heureuse et temporaire de nourriture dans la nature (circonstance rare).
- il peut être localisé pratiquement dans tout le corps ; en fait, on a parfois l’impression d’avoir des filaments jusque dans l’âme.
- Le potentiel adaptatif de ce tissu a été exploité de manière très polyvalente. Ainsi, en plus de jouer le rôle d’isolant thermique, d’amortisseur de chocs mécaniques et de générateur de chaleur dans sa variante de graisse brune (essentielle à la survie des mammifères qui hibernent), on sait qu’elle est impliquée dans une étonnante variété de fonctions. En effet, les adipocytes sécrètent des molécules impliquées dans l’homéostasie énergétique, la physiologie de l’insuline et même les fonctions immuno-endocrines. Sans parler des curieuses fonctions ad hoc qui se produisent chez certains animaux, comme les lamproies mâles, qui utilisent les adipocytes pour se réchauffer (littéralement) avant de rencontrer une femelle mature.
La composante plaisir
L’existence d’un tel tissu, qui ne fait pas seulement office de stockage passif de l’énergie mais qui augmente activement l’efficacité biologique de l’espèce, n’est pas passée inaperçue au cours de l’évolution.
Au contraire, on a sélectionné des mécanismes qui favorisent son développement (grossir) au détriment de ceux qui faciliteraient la perte de poids (mincir).
A tel point que les gènes impliqués dans la capacité à conserver les triglycérides sont présents chez des taxons aussi basiques que la levure.
D’autre part, on sait que le comportement ingestif est influencé par les connexions hypothalamiques avec le système corticolimbique et le cerveau postérieur.
Ce qui, en gros, signifie que la sélection naturelle a fait en sorte que manger soit une source importante d’hédonisme et de plaisir.
Lorsque nous luttons contre les kilos, nous disposons de peu d’armes : nous luttons contre des mécanismes biochimiques, physiologiques et comportementaux que notre nature a sélectionnés au cours de millions d’années pour assurer notre survie.
Et comme l’évolution n’est pas finaliste et ne suit aucun scénario, elle n’a pas prévu l’apparition d’une espèce comme l’Homo sapiens qui, jugeant insuffisantes ces garanties biologiques d’approvisionnement énergétique, les a étendues avec des supermarchés à tous les coins de rue, des gin-tonics avec du tonic premium et des glaces à la noix de macadamia.
*A. Victoria de Andrés Fernández est professeur titulaire au département de biologie animale de l’université de Málaga. Son article original a été publié dans The Conversation que vous pouvez lire ici
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